La Petite Fille au Bout du Chemin

Un livre de Laird Koenig adapté au cinéma par Nicholas Gessner.

capture de l'écran-titre du film The Little Girl who lives down the Lane

Le livre

Je crois que je dois me rendre à l'évidence, j'aime bien les histoires d'enfants solitaires en rupture avec leur environnement social. C'est sans doute pour ça que le personnage de Sara Waybourne dans Picnic at Hanging Rock me touchait à ce point.

La couverture du livre
La couverture. Faites gaffe si vous voulez acheter le roman, n'achetez pas la pièce de théâtre à la place !

The Little Girl who lives down the Lane, en français, la Petite fille au bout du chemin, paru en 1974, est un roman de Laird Koenig, auteur de romans policier américain natif de Seattle, qui a également écrit des pièces et des scénarios de cinéma, dont le plus célèbre doit être Inchon, et aussi l'adaptation de son propre roman, sortie en 1976.

Le roman relate les mésaventures de Rynn Jacobs, une petite fille de 13 ans qui vit seule avec son père, que personne ne voit jamais, qui est tout le temps en déplacement ou enfermé dans son bureau à travailler, dans une grande maison un peu à l'écart d'un village de la côte Nord-Est de l'Amérique du Nord. Tout commence le soir de Halloween, tandis que Rynn fête seule son anniversaire. Sous prétexte d'aider ses enfants au trick-or-treat, le fils de la propriétaire de la maison, Frank Hallet, s'immisce dans le salon et montre rapidement qu'il n'est pas seulement un voisin ennuyeux mais quelqu'un de beaucoup plus sinistre qui ne tarde pas à faire de Rynn la proie de ses visées malsaines. Quant à sa mère Cora Hallet, la notable qui a loué la maison à Lester Jacobs, le père de Rynn, elle n'est pas en reste pour l'indiscrétion. Et c'est très gênant car Rynn a quelques petits secrets qu'elle tient à cacher, ce qui l'oblige à se défendre à peu près seule, bien qu'elle ait vite sympathisé avec le policier Miglioriti, et ensuite avec son neveu Mario. Rynn révèle vite qu'elle n'est pas sans défense, mais malgré sa facilité à mentir, son esprit de décision et son absence apparente de scrupule, elle reste une petite fille de 13 ans.

Rynn Jacobs regarde par la fenêtre la maison est vide

Car si de prime abord, le roman paraît porter sur un enfant solitaire, indépendant et autosuffisant, une lecture plus attentive révèle plutôt que c'est un roman sur l'impossibilité de cette indépendance. Tenir la société à distance n'est pas aisé et il est difficile de croire que la situation de Rynn est ultimement tenable. Même si elle n'est pas exactement un personnage d'enfant réaliste, Rynn représente un certain type d'indépendance qui sonne psychologiquement juste, et la perception du monde des adultes comme peuplé au mieux de gens sympathiques mais inefficaces comme Miglioriti, ou absents, quand ils ne sont pas positivement menaçants est certainement quelque chose qu'on retrouve dans beaucoup de littérature pour enfant. La différence est qu'ici les personnages ne sont pas habillés des oripeaux de la fantasy ou du conte de fée, mais représentent des menaces tout à fait reconnaissables par des adultes, et le roman est perturbant aussi pour ce mélange entre un fantasme enfantin d'indépendance, dont il peut être vu comme une espèce de déconstruction, des tropes de thrillers, et des éléments complètement réalistes.

Bref c'est un livre intéressant, qui laisse un sentiment bizarre et qui mérite d'être lu. Je pense que j'aurais adoré le lire quand j'avais moi-même cet âge là.

Il m'est cependant assez difficile d'avoir un jugement sur ce roman de façon autonome au film car j'ai d'abord vu le film (je l'ai découvert par hasard parce que le titre est cité dans Twin Peaks, mais il s'agit peut-être d'une coïncidence, car tout ça fait allusion à Baa baa black sheep une célèbre nursery rhyme, qui se finit par "one for the little boy who lives down the lane" ).


De façon improbable, le livre et le film ont également inspiré cette chanson.

Le film

Starring Jodie Foster

1976 a un peu été l'annus mirabilis de Jodie Foster. Elle a joué dans pas moins de 5 films sortis cette année : Bugsy Malone, Taxi Driver qui l'a rendue célèbre, Echoes of a Summer, Freaky Friday et, donc The Little Girl who lives down the Lane, production américano-franco-canadienne quoique tout les acteurs principaux soient américains (à l'époque tourner au Canada était fiscalement avantageux pour les producteurs américains, le film a donc été tourné en grande partie dans la région de Montréal avec une équipe technique francophone, même si les extérieurs ont plutôt été tournés dans le Maine).


La bande-annonce narrée par Jodie Foster dans un français impeccable.

Le scénario du film est extrêmement fidèle au roman, puisqu'il a été adapté par son propre auteur. Néanmoins, on peut observer quelques changements. Certains paraissent être de purs détails (le compositeur préféré de Rynn est Liszt dans le roman et Chopin dans le film, probablement parce que ça devait être plus facile de trouver un enregistrement de Chopin bon marché pour la bande son). D'autres changements sont plus intéressants, en ce qu'ils modifient le personnage de Rynn.

Là où dans le roman elle apparaît comme particulièrement froide et distante, plus calculatrice et de sang-froid, son personnage est modifié dans le film pour la rendre moins psychopathique (ou en tout cas moins ouvertement), ce qui a aussi pour effet de la rendre peut-être un peu plus réaliste.

Dîner avec Rynn, Miglioriti et Mario Tea time nocturne avec Rynn et Frank Hallet
Rynn sait recevoir.

Le film est réalisé par le suisse Nicholas Gessner, et aussi bien le scénario concentré sur quelques personnages et sur un seul décor que la réalisation pour le moins classique tendent à lui donner un côté assez théâtral. Jodie Foster joue le personnage principal avec un brio très impressionnant, surtout pour une actrice aussi jeune (Ayant fêté ses 13 ans au début du tournage, elle avait exactement l'âge de son personnage). Elle sortait tout juste de Taxi Driver, et d'une certaine façon elle est encore plus impressionante dans ce film-ci, car elle y joue le personnage principal, présent dans pratiquement toutes les scènes voire tout les plans, tandis que dans Taxi Driver, son personnage était bien moins important (elle n'y a que deux scènes de dialogue).

Si The Little Girl who Lives down the Lane est un film qui vaut encore d'être vu, c'est largement grâce à la performance exceptionnelle de Jodie Foster.

Alexis Smith et Jodie Foster Jodie Foster fâchée Jodie Foster inquiète
Also starring une perruque blonde car Jodie Foster avait les cheveux trop courts

Non pas que les autres soient mauvais, bien au contraire. Scott Jacoby campe Mario d'une manière très sympathique et charismatique, c'est assez bizarre qu'il ne semble pas avoir eu une énorme carrière ensuite, et Martin Sheen est quant à lui vraiment excellent pour jouer le rôle du pervers, d'autant mieux qu'il n'y a rien de grand-guignolesque dans sa performance, et son apparence anodine aussi bien que ses manières apparemment urbaines et détachées lui permettent de donner beaucoup de réalisme et d'épaisseur à un personnage d'ordure finie.

Scott Jacoby Martin Sheen Mort Shuman Alexis Smith
Scott Jacoby, Martin Sheen, Mort Shuman, Alexis Smith

On l'aura compris j'aime beaucoup ce film. Le scénario est solide, les acteurs sont bons, la réalisation est correcte, il mérite d'être vu.

Cependant il faut quand même que je touche un mot d'un élément du film qui m'a très désagréablement surpris. À un moment, Rynn reçoit donc l'aide de Mario avec qui elle sympathise et qui devient rapidement son complice pour l'aider à protéger ses petits secrets. Rynn et Mario finissent par tomber amoureux, et dans le film (je ne me souviens plus si c'est le cas dans le roman, je crois que c'est plus ambigu), ils finissent par coucher ensemble, ce qui se traduit par une scène où on voit Rynn se déshabiller de dos et rejoindre Mario au lit.

Un câlin chaste entre Mario et Rynn
C'est d'autant plus gratuit que plus tôt dans le film il se font un câlin tout à fait chaste

Alors rassurez-vous tout de suite, Jodie Foster n'a pas été obligée de tourner une scène de nu à 13 ans, c'est sa grande soeur de 18 ans qui lui a servi de doublure (De même que dans Taxi Driver). Reste que si ce n'est pas la même actrice, c'est quand même le même personnage, et je trouve ça plutôt dérangeant et assez paradoxal de montrer nue, même brièvement, ce qui est censé être une gamine de 13 ans, avant de la voir rejoindre au lit un mec qui est quand même plus âgé qu'elle, le tout dans un film dont l'antagoniste principal est un horrible salaud pédophile.

L'âge de Mario n'est pas donné mais il a manifestement au moins 16 ou 17 ans (Scott Jacoby avait 19 ans au moment du tournage) et cette différence d'âge est non seulement évidente mais le script attire l'attention dessus : c'est ironiquement Frank Hallet le pédophile qui demande à Mario s'il ne devrait pas plutôt se tourner vers des filles de son âge.

Bref, c'est quand même assez malsain. Selon Scott Jacoby dans une interview donnée peu de temps après, cette scène serait née de la volonté d'un producteur "complètement dingue" d'avoir plus de sexe et de violence dans le film. Jodie Foster ne garde paraît-il pas un très bon souvenir de ce film, et la raison en serait, entre autre, cette scène dont elle ne voulait pas, parce qu'elle ne voulait pas qu'on croie qu'elle l'avait faite elle-même.

Rynn Jacobs sourit montrant ses fausses dents cassées
Un autre mauvais souvenir de Foster : la prothèse dentaire qu'on lui a fait porter et qui gelait, ce qui l'empêchait de parler

Le film est très ancré dans les années 1970, et ce détail malsain est relativement représentatif de cette époque. Quelques années après un type comme David Hamilton commençait à connaître le succès.

Et si on regarde même Taxi Driver, le fait est que pratiquement la seule chose qui marque vraiment dans ce film c'est l'interaction entre De Niro et Foster (je l'ai regardé juste après The Little Girl who lives down the Lane, et c'est comme ça que j'ai découvert toute la première moitié de ce classique qui a très mal vieilli).

Il faut lire les commentaires dégueulasses de la presse de l'époque sur la question pour réaliser combien on a progressé en un demi-siècle. Enfin je sais pas si on a énormément progressé à vrai dire, mais quand même un peu je crois.

Rynn Jacobs mordant dans un cookie en regardant Frank Hallet passer de vie à trépas
Le goût d'amande ? Ça doit être les cookies. Ils viennent de chez Fortnum.

Liens

Rynn Jacobs a l'air consterné et abattu
Le visage d'une fille dans le pétrin qui se demande quelle tuile va encore lui tomber sur la tête.